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La cascade

Mardi 6 avril 2021, 7 heures du matin. Je suis âgée de 41 ans, 7 mois, 0 jour, 16 heures et 30 minutes.

Je descends de mon hamac, émerge de mon abri, et saute de rocher en rocher vers le torrent, pour aller boire. Mon genou est guéri, je déborde de bonheur : je peux à nouveau parcourir les paysages les plus sauvages, et en ramener des photos. Une fois parvenue au-dessus de l’eau, je me redresse de toute ma hauteur sur un grand bloc, complètement nue.

Hier soir, je suis arrivée et j’ai installé mon bivouac à la nuit tombée, éclairée par ma lampe frontale. Ce n’est que ce matin, que je découvre enfin mon environnement dans toute sa splendeur.

Soudainement, je suis sidérée par une prise de conscience profonde, viscérale. Mon cœur rate quelques battements. Je deviens extatique.

Ça y est, j’y suis arrivée : je suis très précisément dans le lieu où j’ai toujours rêvé d’être, depuis mon enfance. Je me rends compte qu’après plusieurs dizaines d’années de questionnements personnels, de doutes existentiels mortifères, d’errances et de dépressions, je suis enfin parvenue au point où je sais qui je suis, et ce que je veux faire de ma vie.

Mon esprit n’est plus qu’apaisement, sérénité, accomplissement. Je m’assois sur le rocher, dont je ressens l’humidité fraiche contre mon corps. Et je tente de m’imprégner pleinement de la vallée autour de moi.

Les remparts, la forêt, le basalte, tout ruisselle encore de la pluie tombée pendant la nuit. Par-dessus le grondement du torrent, quelques oiseaux lancent de timides appels. Ils se réservent pour plus tard, pour l’arrivée du soleil où ils piailleront enfin de joie. Un « papillon la pâture » flâne à l’orée des arbres, projetant l’éclair bleu électrique de ses ailes à chaque battement. À un kilomètre de moi, la Cascade Blanche, l’une des plus hautes du monde, génère ses propres nuages. L’air est saturé d’humidité.

Ce décor merveilleux, et la femme que je suis aujourd’hui, ressemblent tellement à ce que j’imaginais dans mes rêves, quand j’étais gamine… La nuit, je me relevais souvent pour aller prier à la lune. Je lui faisais toujours les trois mêmes vœux : « Madame la Lune, quand je serai grande, je voudrais être une fille, être une exploratrice pour aller vivre des aventures dans la jungle, et avoir des ailes d’ange pour voler ». Je savais que ça arriverait un jour. Il ne pouvait pas en être autrement.

Puis, j’ai grandi, et je suis devenue « raisonnable ». Jour après jour, j’ai enterré vivantes mes vérités d’enfant. Elles étaient presque éteintes, lorsque je les ai exhumées de mon inconscient, il y a quelques années. Mais il a suffi que je souffle une seule fois sur l’infime étincelle restante, pour que peu à peu, elle embrase à nouveau toute ma vie.

La lune a exaucé mes deux premiers vœux. Pour le troisième, j’y travaille toujours avec ferveur : je ne pourrai jamais voler comme un oiseau, mais descendre en rappel les cascades de la Réunion m’apporte des vertiges encore plus grisants.

Je ne sais pas où je vais, j’ignore ce que l’avenir me réserve. J’espère vivre des aventures toujours plus inouïes, et braver la mort le plus longtemps possible. Mais j’ai aujourd’hui cette certitude apaisée, de savoir qui je suis et ce que je veux. C’est lorsque j’avais 41 ans, 7 mois, 0 jour, et 16 heures 30 minutes, qu’a débuté ma seconde vie.

(Je remercie de tout cœur les gens qui ont continué de me soutenir si longtemps sur Tipeee, alors que je ne produisais plus rien depuis longtemps : https://fr.tipeee.com/diane-rainard)

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